PROJET HUMANITÉ
Au début de l’année 2022, je suis tombée enceinte. C’est arrivé rapidement, pour mon plus grand bonheur et celui de mon conjoint. Je me demandais si c’était trop beau pour être vrai. Souvent.
L’excitation et les rêves ont rapidement fait place à l’anxiété quand j’ai commencé à sentir que j’avais fait une fausse couche, alors que je n’avais pas vraiment de symptômes annonciateurs.
S’en est suivie une épopée à travers le système de santé qui m’a paru sans fin, pendant laquelle la sensation de perdre le contrôle sur ma vie et sur mon corps a été en premier plan. J’ai eu la confirmation d’avoir fait une fausse couche après avoir été examinée, questionnée, réexaminée et requestionnée par un trop grand nombre de professionnels et d’intermédiaires inutiles en milieu hospitalier.  Entre les quelques minutes passées avec, chaque fois, une nouvelle personne; les heures et les jours d’attente interminables à ne pas savoir, à se demander ce qui se passe. Pendant ces consultations, trop de gens qui semblaient indifférents à ma situation et me traitaient avec froideur et détachement, habitués à dealer avec des cas similaires et à passer au suivant. 
Une grossesse sur cinq se termine en fausse couche. Oui, les statistiques disent que c’est fréquent et par conséquent, on peut s’attendre à ce que le personnel de la santé y soit souvent confronté. Sauf que pour moi, c’était la première fois. Ma souffrance était réelle, même si elle était banalisée par ceux qui auraient dû me supporter. Et le traitement que j’ai reçu à l’hôpital a amplifié la détresse que j’ai vécue dans un moment où j’aurais voulu me sentir en confiance avec les intervenants qui étaient responsables de mon bien-être physique et psychologique.
J’ai pensé dernièrement à la quantité de souffrances que ce type de traitement fait vivre aux femmes qui doivent passer à travers cette épreuve. On se fait balloter de gauche à droite, avec de l’information incomplète, contradictoire et même parfois erronée, sur ce qui nous attend. On se fait prescrire une médication qui provoque des contractions, pour accoucher notre fœtus, ou un curetage pour «l’aspirer» de force, comme si c’était une prescription de pastille pour la toux. Où est l’humanité dans tout ça?
J’ai eu la chance, de mon côté, d’avoir un soutien incroyable de mon conjoint, qui a été avec moi du début à la fin du processus. J’avais aussi une sage-femme et sa stagiaire, toutes deux à l’écoute et empathiques. Je n’ose pas imaginer ce que celles qui vivent cela seules et en silence endurent. Chose certaine, ça laisse des traces.
Suite à cette expérience, j’ai réalisé plusieurs choses. D’abord, ma méconnaissance totale de tout ce qu’implique une fausse couche en termes de processus médical, ce qui me laissait peu préparée à affronter ce qui pouvait se passer. Ensuite, j’ai pris conscience, en parlant avec mon entourage, du grand nombre de femmes relativement proche de moi qui avait traversé cette expérience sans que je ne le sache. Avoir su et mieux compris tout ça, mon expérience, bien qu’elle serait restée difficile, aurait été moins traumatique, parce que je me serais sentie mieux préparée à ce qui m’attendait et moins seule. Et j’ai l’impression que ça pourrait s’appliquer à beaucoup d’entre nous. Pourquoi, donc, est-ce qu’on parle si peu de nos fausses couches? Pourquoi est-ce que ça semble si banalisé par le corps médical? Quelles répercussions peut avoir cette banalisation sur notre expérience et sur le «après»?
Le temps a passé, et j’ai eu envie de transformer cette expérience amère en quelque chose de positif. J’ai eu envie de rencontrer d’autres femmes qui sont passées au travers d’une fausse couche et de jaser avec elles de leur vécu. Et pourquoi pas partager ces témoignages, pour que d’autres se sentent moins seules, mais aussi pour sensibiliser à l’importance de ne pas banaliser notre souffrance, même si ceux qui nous ont traitées se donnaient le droit de le faire.
L’idée a germé depuis et je me suis dit que bien d’autres sujets, dont on entend peu parler par les personnes concernées, mériteraient d’être discutés. Des thèmes comme la réinsertion sociale, la toxicomanie et le décrochage scolaire, pour n’en nommer que quelques-uns. Le Projet Humanité est né de cette idée, avec la volonté d’explorer chaque mois un sujet dont on parle peu, ou pas assez. J’irai à la rencontre de ces gens et je vous transmettrai leurs mots. M’inspirant de la démarche de Humans of New York, je joindrai des photos à leur témoignage, afin de rappeler que derrière chaque histoire se trouve un être humain, pas très différent de vous et moi. De cette façon, j’espère humblement créer des moments de partage, dans l’écoute et le respect de chacun, et sensibiliser les gens à des sujets et à des causes qui me tiennent à cœur.
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