DEUIL PÉRINATAL : L'histoire de Noémie
Noémie est une ancienne collègue de travail. C’est une fille douce, discrète, généreuse. Elle ne l’a pas eu facile. Il y a quelques années, elle a reçu un diagnostic de cancer, dont elle est actuellement en rémission. Elle m’en avait fait part brièvement, entre deux gestions de crises, à la résidence où on travaillait. Je n’ai pas vraiment osé poser davantage de questions. Pas parce que ça ne m’intéressait pas. Je pense m’être dit, à ce moment-là, que je préférais lui laisser de l’espace. Que j’évitais ainsi de raviver des émotions négatives. Un peu comme je l’aurais fait en apprenant qu’elle aurait fait une fausse couche. Pourtant, c’est elle qui avait fait les premiers pas.
Quand j’ai partagé sur mes réseaux sociaux mon intention de faire ce photoreportage en raison de ma propre expérience avec le deuil périnatal, elle m’a écrit tout de suite pour me dire qu’elle était désolée pour moi et qu’elle avait aussi vécu une fausse couche. Même deux. En temps normal, je n’aurais peut-être pas osé m’ouvrir davantage ou lui poser les questions qui me venaient inévitablement en tête. Mais enfin, j’avais un prétexte pour prendre le temps d’en parler sans gêne, sans tabou.
On s’est donné rendez-vous un lundi, chez elle. Elle habite un petit 4 et demi chaleureux et plein de vie avec son conjoint, sa fille Béatrice et son fils Victor, pas loin de la rue Saint-Jean. Sur les murs sont exposées des photos de ses enfants et de ceux de ses proches. Les pièces sont remplies de jouets et de dessins, surtout la chambre de ses enfants qui dorment dans des lits superposés, mais qui ont juste à côté tout un monde à leur disposition pour jouer, lire, apprendre.
Son aînée, Béatrice, est née en 2013, alors que Noémie avant 27 ans. C’était sa première grossesse. Je lui ai demandé si le fait d’avoir eu sa fille à ses côtés l’avait aidé à passer au travers de ses fausses couches. «Oui, vraiment. Surtout deux fois de suite, ça peut être décourageant. Je pense à d’autres femmes pour qui en plus, ça prend tellement de fois avant de réussir à tomber enceinte au départ. Ça doit générer un stress épouvantable. Mon conjoint et moi on savait qu’au moins, ça avait fonctionné une fois donc logiquement, ça pouvait fonctionner encore.» Béatrice l’a aidée à rester optimiste et à garder espoir.
C’est deux ans après la naissance de sa fille qu’elle et son conjoint commençaient à se dire que c’était un bon moment pour réessayer : ils sortaient des couches, de la routine, ils commençaient à avoir plus d’énergie. Elle est tombée enceinte pour une deuxième fois en 2015. Vers 9 semaines, elle s’est rendu compte que quelque chose clochait. « J’avais des petits saignements un peu tout le temps, mais vraiment minimes. J’ai vu un médecin au CLSC puis mon médecin de famille. Des prises de sang ont montré que mon taux d’hormones était anormalement bas pour le nombre de semaines de grossesse. Le vendredi, on m’a dit que je devais aller à l’urgence de Saint-François d’Assise pour être examinée par une gynécologue. Puis j’ai dû revenir le lundi suivant pour passer une échographie.»
Entre-temps, Noémie devait être sous la surveillance constante de ses proches puisque la gynécologue suspectait une grossesse ectopique : une grossesse qui se produit à l’extérieur de l’utérus. Cette condition est dangereuse pour la mère, et peut être mortelle si elle n’est pas traitée.
«Le lundi, on a attendu environ 6h avant qu’ils nous passent… pendant ce temps-là, t’es full inquiète… c’est super agréable!» Elle rit puis remet les choses en perspective : «Y’avait une autre fille qui était dans la même situation que moi, mais pire. Elle était en chaise roulante, même pas capable de marcher… Moi j’avais aucune douleur.» Reste que l’attente, et avec ça, la sensation de ne pas être importante, c’est lourd à porter quand tu attends qu’un verdict comme ça tombe.
Après les échos et les questions posées à répétition pour s’assurer qu’elle était bien enceinte, le verdict est tombé : son fœtus était logé dans une trompe de Fallope. «Mais ils étaient toujours vagues… Jamais capable de me dire clairement : Tu fais une grossesse ectopique, il n’y a aucune chance que ce bébé soit viable, il va falloir avorter. J’aurais voulu que ce soit clair. Mais non, c’était plutôt : Tu fais une grossesse ectopique, on va te donner un médicament pour régler ça.» C’est comme si je m’étais sentie obligée de prendre cette option-là, alors qu’on n’a jamais été claire avec moi qu’il n’y en avait aucune autre.»
Noémie m’explique donc avoir reçu deux injections de méthotrexate. Il s’agit d’un médicament utilisé entre autres dans le traitement de certains cancers et qui, dans le cas d’une grossesse ectopique, est administré pour empêcher les cellules de l’embryon de se développer. Une «mini-chimio», comme elle l’appelle. Déjà que le mot chimiothérapie est effrayant, personne ne lui a vraiment expliqué ce que cette injection allait déclencher. Lorsqu’elle a posé la question, on lui a seulement dit qu’elle allait peut-être avoir des saignements. Aucune mention d’effets secondaires. Pourtant, il y en a eu. «Personne ne m’a dit que cette injection-là allait scrapper ma vie sexuelle pendant 3 ans… et me donner tout le mal du monde à retomber enceinte. Il a fallu que je vois une gynéco-oncologue en lien avec mon cancer, pour que j’apprenne que j’avais une condition qui était fort probablement un effet secondaire de ces injections-là et qui m’avait empêchée de tomber enceinte pendant longtemps. Moi, pendant des années, j’ai consulté mon médecin à répétition pour savoir ce qui se passait sans qu’on mette le doigt dessus…» Le pire, m’a dit Noémie, c’est que la «mini-chimio» est aussi un traitement qui est donné aux personnes atteintes de la maladie de Crohn… Et qu’on prévient normalement les patientes qui le reçoivent qu’elles ne pourront pas tomber enceintes à moins de l’arrêter.
Un an après sa grossesse ectopique, Noémie est retombée enceinte. Elle se rappelle qu’à environ 6 semaines de grossesse, elle était en route vers la Gaspésie pour une fin de semaine en amoureux quand elle s’est mise à avoir des saignements et des douleurs au ventre qui ont augmenté progressivement, mais qui, somme toute, ressemblaient à des menstruations. Elle s’est résignée au fait qu’elle faisait à nouveau une fausse couche, après avoir parlé avec son amie qui en avait vécu une quelques semaines plus tôt. L’infirmière d’infosanté lui a simplement conseillé de consulter un médecin s’il y avait des complications. «J’ai quand même été capable de rester de bonne humeur pendant ma fin de semaine, mais j’étais bin découragée vu que c’était la deuxième fois. À bien y penser, j’ai clairement vécu plus de tristesse pendant cette fausse couche là que pour la première.» Pourtant, elle n’a pris qu’une journée de congé avant de retourner au travail. Quand je lui demande si, en rétrospective, elle était vraiment prête lorsqu’elle est retournée travailler, elle me dit que non. Mais elle ne voulait pas que ça engendre encore des mouvements de personnel par sa faute. Elle se sentait coupable. «Je voulais pas écœurer le peuple! J’étais plus jeune aussi, je voulais montrer que j’étais capable, que j’étais professionnelle. Mais je t’avoue que j’aurais aimé ça, que mon employeur me dise : c’est correct, si tu as besoin de temps, prends-en.» Ça lui aurait enlevé un poids sur les épaules.
Le mois suivant, elle est tombée enceinte à nouveau. Cette fois-ci, elle a décidé d’attendre à la 12e semaine de grossesse pour aviser son employeur. Noémie trouvait ça lourd, annoncer une grossesse, puis une fausse couche, puis une grossesse, puis une fausse couche encore… Elle voulait éviter d’être mise en retrait préventif inutilement, avec tout ce que ça impliquait pour elle et ses collègues... Finalement, son médecin l’a rapidement mise en arrêt maladie. Elle avait à nouveau des saignements. C’était presqu’un soulagement qu’on prenne cette décision pour elle.
Les saignements étaient une fausse alarme. Victor est né en 2017. Un petit garçon en santé, comme sa sœur.
Le cancer s’est ensuite invité dans sa vie. Là, étrangement, elle se sentait plus outillée : «Pour chaque traitement, chaque étape, on avait un cours avant qui nous expliquait ce qui allait se passer, ce qu’on devait faire ou ne pas faire, etc. Mais c’était surtout concentré sur le côté physique. Même là, il m’a manqué des infos assez importantes qui ont eu une répercussion plus tard sur ma santé, mais je me sentais moins dans le néant que pendant ma fausse couche. » Pour le côté psychologique, c’est là qu’elle s’est rendu compte que les médecins n’avaient tout simplement pas le temps de s’en occuper. «Ils étaient gentils quand même, me disaient quelques mots en guise de support, mais ça s’arrêtait là.»
Au cœur de nos deux expériences de deuil périnatal, le temps nous semblait vraiment à la racine de tous les problèmes : l’attente interminable qui nous donne l’impression de ne pas être importantes; la prise en charge souvent expéditive et impersonnelle qui nous prive d’informations nécessaires à notre bien-être physique et psychologique à court, moyen et long terme; la quasi-absence de prise en charge des conséquences psychologiques d’une fausse couche, ce qui en retour peut envoyer un message de banalisation de notre expérience et invalider nos émotions... Le système de santé impose un rythme rapide, qui mène inévitablement vers une diminution de la qualité des soins. C’est souvent le côté humain qui écope. Pourtant, c’est ce qui peut faire la différence entre une expérience difficile, mais humaine, et une expérience carrément traumatisante.
Noémie a fait son deuil. Elle se voit comme une femme qui a été quatre fois maman, mais qui n’a aujourd’hui que deux «bébés». C’est ce qu’elle dit à sa fille pour que celle-ci comprenne, plus tard, que les fausses couches peuvent faire partie de la vie, mais que c’est une expérience qui marque à jamais et qui ne doit pas être banalisée.
Quand j’ai demandé à Noémie ce qu’elle avait appris sur elle-même, à travers ces épreuves, elle m’a répondu qu’elle était plus résiliente et persévérante qu’elle ne le croyait. Je ne peux m’empêcher de penser au fait que sa résilience, elle a dû la développer non seulement en réaction à ses fausses couches et à son cancer, mais aussi face au système censé la traiter et la soutenir dans ses épreuves.
Ressources pour le deuil périnatal :
Québec : https://www.lesperseides.org/